République démocratique du Congo, le pays aux 0,08 % de vaccinés.
Malgré la troisième vague qui sévit depuis début juin, un nombre infime de Congolais s’est fait vacciner. Dans ce pays où 1 000 personnes sont mortes du Covid, selon les chiffres officiels, gouvernement et acteurs internationaux sont accusés d’exagérer la gravité de la maladie.
Sur le papier, tout devait rouler. 1,7 million de doses de vaccin prêtes à l'emploi, des campagnes de communication pour répondre aux interrogations et un plan de bataille clair : d'abord les professionnels de santé, puis quatre provinces identifiées comme prioritaires, avant d'étendre la vaccination au reste du (gigantesque) territoire de la République démocratique du Congo (RDC).
C'était en mars. Quatre mois et demi plus tard, c'est peu de dire que le plan n'a pas fonctionné. Bien que relativement épargnée par le Covid-19 jusqu'à présent, avec « seulement » 984 décès et 45 211 cas confirmés (des chiffres officiels probablement sous-évalués), la RDC est sous la menace des variants. Le Delta y représenterait désormais plus de 80 % des contaminations. Dans la capitale, Kinshasa, il a mis les services de soins intensifs à l'épreuve. Il menacerait désormais de se diffuser dans les zones rurales.
Malgré les photos en grande pompe du ministre de la santé en train d'être vacciné, le lancement d'une chaîne de télévision dédiée, l'envoi de SMS de rappel et la menace de cette troisième vague, 0,08 % de la population congolaise a reçu une première dose. Le nombre de vaccinés tombe à 0,002 % si l'on comptabilise ceux qui ont reçu leur deuxième dose. 2 015 personnes sur les 89,6 millions de citoyens que compte la RDC.
Les autorités congolaises, qui craignaient de n'avoir pas assez de stocks de vaccins pour répondre à la demande, ont dû rendre 1,3 de leur 1,7 million de doses d'AstraZenecca, non utilisées, avant qu'elles ne périment.
Comment est-ce possible ? Retour sur un fiasco en trois actes.
Acte 1 : la thrombose qui tombe mal
S'il y a une difficulté à laquelle les autorités sanitaires de ce pays d'Afrique centrale s'attendaient, c'était celle de la logistique. La RDC est un grand pays, un très grand pays : 2,3 millions de km², près de quatre fois la France. Les routes bitumées y sont rares.
« La difficulté, ce sont les "derniers kilomètres", c'est-à-dire emmener les vaccins des grandes villes vers les structures sanitaires situées plus loin », explique la docteure Élisabeth Mukamba, directrice du Programme élargi de vaccination du ministère congolais de la santé.
Aux problèmes d'acheminement s'ajoutent ceux de la conservation des vaccins : faire parvenir des millions de doses correctement réfrigérées dans des régions où la température peut atteindre 40 °C et où l'électricité est rare est assurément un défi.
Mais les obstacles logistiques, réels, n'expliquent pas tout. La preuve : même dans la capitale, Kinshasa, où les centres de vaccination sont accessibles sans problème, 27 000 personnes seulement, sur 27 millions d'habitants, sont allées se faire vacciner.
Si les Congolaises et Congolais ne sont pas allés se faire vacciner, ce n'est pas parce que le vaccin n'est pas arrivé jusqu'à eux, c'est qu'ils ont, dans une très large majorité, refusé de le faire - échaudés par l'égoïsme des pays du Nord, les discours confus et une certaine irresponsabilité de leur classe politique.
En RDC, l'échec collectif à donner confiance dans le vaccin a été tel que la question n'est pas tant de savoir pourquoi les gens ne sont pas allés se faire vacciner. Elle est plutôt de savoir pourquoi certains ont choisi de le faire tout de même, alors que tout les incitait à se méfier de cette campagne chaotique.
Les autorités congolaises, il faut en convenir, ont d'abord joué de malchance. À la mi-mars, une annonce venue d'Europe a porté un premier coup à leur campagne de vaccination avant même qu'elle ne débute. Quatre jours avant son lancement prévu, trois pays (le Danemark, l'Islande et la Norvège) annoncent suspendre l'utilisation du vaccin AstraZenecca, après des cas de thrombose.
C'est un problème de taille : il s'agit justement du vaccin qui doit être utilisé au Congo.
Le 15 mars, jour prévu du début de la campagne congolaise, la France et l'Allemagne annoncent à leur tour suspendre préventivement son utilisation. Le gouvernement congolais décide de reporter.
La vaccination démarre finalement le 19 avril. Entre-temps, l'Agence européenne du médicament a reconnu que des thromboses atypiques étaient un effet indésirable très rare du vaccin AstraZeneca, qui ne remettait toutefois pas en cause sa balance bénéfice-risque.
Acte 2 : les tergiversations du président
Une fois la campagne vaccinale effectivement lancée, en avril, le chantier pour les autorités sanitaires congolaises est énorme : convaincre les gens de se faire vacciner alors que la maladie n'est pas ou peu visible au quotidien.
« Les corps médicaux nous disent qu'il y a une recrudescence de cas de Covid. Qu'ils nous montrent où sont hospitalisées ces personnes. Ce sont des discours fallacieux », assure toujours aujourd'hui Fiston Mbuyamba, étudiant en sciences politiques à l'université de Mbuji-Mayi (Kasaï oriental).
De fait, dans sa région, quelques dizaines de personnes ont pour le moment été diagnostiquées. Mais la faible visibilité de la maladie ne signifie pas pour autant qu'elle ne circule pas. Les premiers résultats d'une étude de séroprévalence menée après la deuxième vague, citée par Le Monde, suggèrent que 40 % de la population aurait été infectée dans certaines villes africaines.
Dans ses posts sur les réseaux sociaux, le jeune homme prend moins de pincettes pour dire le fond de sa pensée. « On est fatigués de ces conneries ! », commente-t-il sous un article évoquant la saturation des services médicaux congolais. Le ton ne se démarque pas du reste des posts, qui incitent à la méfiance et dénoncent les prétendus mensonges des médias étrangers.
Pour contrer cette méfiance, le ministre congolais de la santé Jean-Jacques Mbungani multiplie à partir de juin les rencontres, au cours desquelles il tente de rassurer : avec le clergé catholique, les directeurs d'hôpitaux...
Personnalités influentes et membres de l'exécutif sont encouragés à aller se faire vacciner sous l'œil des photographes. Le ministre Jean-Jacques Mbungani s'y rend solennellement le 1er juillet - à « 10 h 35 », précise le communiqué qui rapporte l'événement. Entouré d'une nuée de caméras et de smartphones, il présente son épaule à l'employée de la clinique Ngaliema de Kinshasa.
Les flashs immortalisent la piqûre. Le ministre de la santé se fend d'une courte déclaration, assurant « qu'il est important de se faire vacciner » et qu'il espère que 25 % des Congolais le seront rapidement afin d'atteindre l'immunité collective.
Le même jour, le président congolais en personne, Félix Tshisekedi, détruit au TNT les efforts de son ministre. Lors d'un entretien accordé à la télévision nationale, il déclare : « J'ai bien fait de ne pas me faire vacciner à l'AstraZeneca. D'ailleurs, je n'étais pas convaincu. »
« Le chef de l'État a tué la vaccination. Il avait une grande responsabilité d'exemplarité, et il a été le plus mauvais exemple », juge Dirk Shaka, médecin clinicien à Kinshasa et membre de la Lucha, une organisation congolaise militant pour le respect des droits humains et la justice sociale.
Les vaccins auraient dû être un bien universel ; ils sont devenus un objet commercial, voire un outil de géopolitique mondiale.
Dirk Shaka, médecin congolais
La position de Félix Tshisekedi a été jugée d'autant plus étonnante qu'il est le président en exercice de l'Union africaine, organisation qui s'est fixé comme objectif 60 % de vaccination sur le continent africain.
Le docteur Shaka, lui, s'est fait vacciner, à la fin mai, après quelques réticences. « J'ai hésité, d'abord parce que j'étais écœuré des guéguerres indécentes autour des vaccins. Les vaccins auraient dû être un bien universel ; ils sont devenus un objet commercial, voire un outil de géopolitique mondiale. On a vu l'Europe se hérisser parce que la Chine avait donné des masques à l'Afrique, on a vu des chasses gardées, des pays qui voudraient le monopole de l'aide sur les autres, des vaccins freinés, d'autres promus... Cela a agi en révélateur du cynisme du système mondial », soupire le médecin.
Il s'est finalement résolu à se faire vacciner, un choix « logique » même s'il n'a « pas trouvé toutes les réponses » à ses questions sur le vaccin AstraZeneca. « Il fallait choisir entre ne pas prendre de vaccin du tout et prendre un vaccin pas tout à fait au point, mais qui donne un minimum de protection », affirme-t-il encore.
Acte 3 : Corona-business as usual
Cinq jours après sa vaccination court-circuitée par les déclarations du président, le ministre de la santé, Jean-Jacques Mbungani, tente de redresser la barre. Ses équipes planchent sur la possibilité d'acquérir des doses d'autres vaccins, notamment le Spoutnik russe. Le porte-parole de l'exécutif fait savoir que « d'autres membres du gouvernement vont emboîter le pas pour donner un coup d'accélération à la vaccination ».
Mais alors que le chiffre de 0,07 % des Congolais ayant reçu leur première dose est péniblement atteint, Jean-Jacques Mbungani doit affronter une nouvelle tempête. Les réseaux sociaux s'enflamment autour d'une vidéo affirmant qu'un homme serait mort après avoir reçu une dose d'AstraZeneca. Le ministre promet qu'une enquête va être menée sur ce cas par ses équipes et celles de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Deux jours plus tard, le 7 juillet, il doit cette fois faire une mise au point sur le cas « d'athlètes d'un club sportif appréhendés à l'aéroport [de Kinshasa] avec des faux résultats de test Covid-19 ». De fait, il est devenu possible à Kinshasa de se procurer un faux test PCR pour une trentaine de dollars.
L'industrie du photomontage tourne à plein. Fleurissent en ligne de faux communiqués annonçant la levée de mesures de restrictions sanitaires, une fausse circulaire du ministère de la santé demandant aux Congolais malades de ne pas se rendre à l'hôpital... Le ministère se répand en démentis.
Un président pas convaincu, des morts non confirmées, des fausses nouvelles à la pelle : les Congolais ont des raisons de douter. Leur classe politique ne les aide pas toujours à retrouver la confiance. Depuis le début de la pandémie, en RDC, gouvernement et parlementaires ont édicté des règles sans toujours les respecter eux-mêmes. Ils ont, en particulier, maintenu des rassemblements politiques en dépit des interdictions de se regrouper.
« Certaines mesures ont systématiquement été violées par les autorités. Pendant la première vague, [l'ancien gouverneur du Katanga] Moïse Katumbi est venu pour un grand rassemblement politique à Kinshasa, le président Tshisekedi est allé en Belgique... Les délégations se pavanaient, c'était incroyable et irresponsable », dénonce le médecin Dirk Shaka.
De quoi saper la confiance en une classe politique déjà largement considérée comme corrompue et soucieuse d'enrichissement personnel. Or, des études menées sur le continent tendent à montrer que la confiance dans le vaccin est étroitement liée à la confiance dans les autorités du pays. « Pour le dire simplement, les gens sont moins susceptibles d'adhérer aux messages de santé publique s'ils n'ont pas confiance dans le messager », résume Aminatou Seydou, assistante de recherche pour l'institut de sondages Afrobaromètre, qui a mené une étude sur 1 200 adultes de cinq pays d'Afrique de l'Ouest.
Depuis sa ville de Mbuji-Mayi, Fiston Mbuyamba, l'étudiant en sciences politiques, détaille sa défiance vis-à-vis des autorités politiques et sanitaires : « Le détournement de deniers publics reste le moyen le plus sûr pour s'enrichir. Parler de recrudescence de cas permet de bénéficier des fonds internes et des aides internationales alloués à la lutte contre la Covid pour s'enrichir au détriment des Congolais. »
Si la recrudescence des cas de Covid en RDC semble bien réelle, et que l'inquiétude pèse désormais sur les provinces de l'Est, déjà durement touchées par des décennies de guerre, l'histoire ne lui donne pas forcément tort sur le reste. En mars 2020, l'ancien ministre congolais de la santé a été condamné à cinq ans de travaux forcés pour détournement de fonds destinés à la lutte contre le virus Ebola. Il n'est pas le seul à avoir été accusé de profiter de cette épidémie pour s'enrichir.
Quid de l'argent destiné à la lutte contre le Covid-19 ? Une chose est sûre : ce ne sont pas les petites mains de la « riposte » (les agents chargés de sillonner le pays pour faire de la pédagogie) qui l'ont dilapidé. Elles n'ont pas été payées pendant sept mois d'affilée.