Présidentielle en Ouganda : le fief de l’opposant Bobi Wine sous haute surveillance après l’annonce des résultats.

Le chef de l’Etat sortant Yoweri Museveni a été déclaré vainqueur du scrutin, mais monsieur Wine, crédité de 34,83 % des suffrages, a dénoncé des fraudes massives. Les forces de l’ordre quadrillent son fief après avoir violenté son épouse quelques heures au par avant.

Air saturé par les vrombissements d'hélicoptères, colonnes de blindés et soldats sur le qui-vive : à Magere, quartier de Kampala où réside Bobi Wine, Robert Kyagulanyi de son vrai nom, on n'avait jamais rien vu de pareil. Il est 16 heures ce samedi 16 janvier et la commission électorale vient d'annoncer les résultats de l'élection présidentielle qui s'est tenue deux jours plus tôt : le chef de l'Etat sortant Yoweri Museveni, au pouvoir depuis trente-cinq ans, est réélu pour un sixième mandat avec 58,64 % des voix face à son principal adversaire, Bobi Wine, ex-chanteur de ragga et député de 38 ans, crédité de 34,83 % des suffrages.

La veille, M. Wine a dénoncé des fraudes massives, notamment des bourrages d'urnes, bulletins préremplis, électeurs n'ayant reçu les bulletins que pour les législatives ou des agressions contre les observateurs de son parti. Depuis, des soldats encerclent son domicile situé en périphérie de la capitale. « Une assignation à résidence », a dénoncé son parti tandis que le gouvernement affirme que les militaires assurent sa sécurité.

Dans les rues, quelques groupes de militants habillés en jaune, la couleur du Mouvement de résistance nationale, le parti au pouvoir, échangent des noms d'oiseaux avec les partisans de Bobi Wine, mais aucune manifestation d'ampleur.

Même calme apparent à Kanyanya, quartier voisin où la vie suit son cours normal. Des mécaniciens réparent les « boda boda », les motos taxis de Kampala ; les vendeurs de rue écoulent leurs marchandises. Mais tous gardent un œil en direction des forces de sécurité déployées en nombre.

Internet coupé depuis quatre jours,

A Kamwokya, le bidonville où Bobi Wine a grandi, tous les axes d'entrée sont également surveillés. Quelques heures avant la proclamation des résultats, l'atmosphère y était déjà lourde, le moral déclinant à mesure que les chiffres provisoires tombaient.

Le quartier était alors partagé sur l'attitude à adopter en cas de « mauvaise nouvelle ». « Nous ferons ce que Bobi Wine nous dira de faire », tranchait Moses, jeune habitant du ghetto déterminé à « protéger sa voix ». Dickson, son voisin, se disait convaincu que « le régime est en train de manipuler les résultats avec la coupure d'Internet ».

Cette coupure, imposée depuis la veille du scrutin, est au cœur des récriminations et agite la classe politique. L'opposition accuse ouvertement la commission électorale d'avoir facilité la fraude, celle-ci ayant affirmé ne pas être affectée et assurant avoir « un autre système de transmission de données » sans pour autant expliquer lequel. « La Commission électorale ne peut pas dire qu'elle a un système particulier, non connu. Elle doit opérer d'une manière transparente. Les résultats doivent suivre le cheminement légal car tout doit être vérifié », a dénoncé Ibrahim Ssemujju, porte-parole du Forum pour le changement démocratique.

Sans surprise, le parti au pouvoir avait soutenu le blocage d'Internet arguant qu'il éviterait les tensions et les affrontements « souvent nourris par la propagande en ligne ».

« On nous vole nos voix »

Chaque camp interprète à sa façon le calme jugé précaire régnant dans la capitale ougandaise après l'annonce des résultats. Les électeurs du président Museveni y voient l'effet bénéfique de la coupure des réseaux tandis que pour les partisans de Bobi Wine, les vainqueurs proclamés font profil bas. « Kampala est silencieuse parce que ceux qui se disent vainqueurs ont en réalité perdu. Se sachant peu nombreux, ils ont peur de trop se montrer », estime l'un d'eux.

Moses, lui, voit surtout les dégâts déjà faits. Couper Internet, c'est le forcer à mettre la clé sous la porte de son petit stand de Mobile money, un business de transfert d'argent via les téléphones mobiles. « On nous vole nos voix puis nos jobs », fulminait-il peu avant l'annonce des résultats, espérant tout de même rouvrir sous peu et ne regrettant pas non plus d'être allé voter : « Bobi Wine nous a mobilisés. On s'est dit que le miracle d'une élection libre et juste était peut-être possible. Mais il est clair que c'était une élection comme les autres, où le vainqueur était connu à l'avance. » LM.